HUMEUR : Le Pen – Macron ou l’art de faire du vieux avec du neuf

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Beaucoup a déjà été dit et écrit sur le duel issu du premier tour de l’élection présidentielle française. Les commentateurs ont abondamment commenté, les chroniqueurs goulûment chroniqué, les analystes passionnément analysé et je n’entends pas ajouter une couche supplémentaire à ce gargantuesque millefeuille d’expertises et avis plus ou moins autorisés. Il m’apparaît toutefois nécessaire de revenir sur un élément essentiel de ce scrutin, à savoir son inscription dans une désolante continuité. A l’opposé de la rupture avec « le système » dont ils se targuent, Le Pen et Macron participent en effet à sa prolongation voire son renforcement ; loin du renouveau qu’ils prétendent porter, l’une et l’autre réchauffent les plats inscrits depuis des décennies au menu du libéralisme.

Cherchez dans les programmes de la candidate bleue marine et du candidat en marche le moindre questionnement – ne parlons même pas de mise en cause ! – sur ce que nous produisons aujourd’hui, comment, pourquoi, avec quelles conséquences humaines et environnementales. Cherchez mais n’espérez pas trouver : il n’y en a pas… Niets. Nothing, Nada. Niente. Walou. Que dalle. Pour eux, on continue sur les mêmes rails. Certes, l’une veut introduire des mesures de protection des entreprises nationales et l’autre entend libérer l’économie des ultimes carcans réglementaires qui l’empêcherait de s’épanouir pleinement mais elle comme lui adhère sans réserve au modèle productiviste-consumériste en place et à son dogme de la croissance. Pour reprendre les mots de Marc Ferracci, conseiller économique d’Emmanuel Macron, il s’agit d’évoluer « dans l’économie telle qu’elle va » et de « prendre la vague de toutes les mutations qui viennent »[[Dans « Le 7/9 » de France Inter, 26/04/2017]]. Traduction: pas question de changer le cours de cette économie ni d’influer sur la nature des mutations attendues. Si intervention il doit y avoir, ce sera pour faciliter l’ordre naturel des choses et permettre l’autorégulation censé lui être intrinsèque. Un vrai rêve libéral… Susceptible, reconnaissons-le, de booster l’activité économique mais en aucun cas de porter remède à ses dysfonctionnements et dégâts collatéraux, bien au contraire.

On prétend Macron créature de Hollande mais son credo économiciste rappelle surtout la foi capitaliste du Mitterrand post-programme commun, celui qui voulait faire de chaque français un actionnaire et mandata Bernard Tapie pour accoucher les ambitions entrepreneuriales de la jeunesse hexagonale en direct sur TF1[[« Ambitions », émission mensuelle diffusée entre 1986 et 1987 qui mêlait variétés et présentation de projets en quête de financement.]].

Si les deux fondent leur succès sur une formidable capacité à surfer sur l’air du temps, elle utilisant son ramage pour fédérer les frustrés, paumés et délaissés de tous bords autour d’incantations populistes, lui usant de son plumage pour opposer au désenchantement citoyen son enthousiasme et sa virginité politique, Le Pen ou Macron, c’est loin d’être bonnet blanc et blanc bonnet.

Sans même se positionner sur la pertinence de son programme, l’indigence de l’argumentation qui le sous-tend suffit ainsi à décrédibiliser Marine Le Pen. Malheureusement, plus encore que l’amour, la haine est aveugle et celle que nombre de ses électeurs éprouvent envers le « système » et les « élites » les empêche de voir cette évidence.
Macron présente un profil autrement plus séduisant… pour qui est prêt à s’accommoder de son inexpérience du pouvoir et, surtout, de son projet dédié à une libéralisation décomplexée de l’économie. Sa prétention à renouveler la manière de faire de la politique laisse également rêveur – perplexe – sans voix* (* biffer les mentions inutiles) au vu du pedigree de ses soutiens. Le cas de Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, VRP en chef de l’industrie française de l’armement, président du Conseil régional de Bretagne au mépris des règles de son parti sur le non cumul et apparatchik roué à toutes les combines politiciennes constitue d’ailleurs à lui seul un gage d’échec.

Il n’est donc pas question de devoir choisir entre la peste et le choléra ; tout au plus entre la peste et le chlamydia.

Peut-on pour autant condamner celles et ceux qui hésitent voire se refusent à poser un choix par défaut ? Comment ne pas comprendre leur malaise et leurs réticences à soutenir de facto une politique qu’ils condamnent et qu’ils combattront demain pied-à-pied ?
Les donneurs de leçon qui dénoncent le vote blanc ou l’abstention face à « la menace fasciste » pensent-ils réellement que le MEDEF appellerait à voter Mélenchon pour faire barrage à Marine Le Pen ?

Cette situation ne peut toutefois faire oublier l’essentiel : si, selon l’expression consacrée, le mécanisme de l’élection présidentielle veut que « au premier tour, on choisit ; au second, on élimine », force est de constater que les Français ont délibérément et résolument choisi de tourner le dos au(x) changement(x) et à l’avenir. Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon, les deux seuls candidats porteurs d’un véritable projet de société, d’un programme volontariste en termes d’environnement, d’une ambition politique allant au-delà de la gestion des urgences et d’une rupture claire avec le système économique en place ne récoltent en effet à eux deux que 25,94% des suffrages exprimés.

Bien sûr, on pourra toujours objecter qu’avec ses 19,58% et 7.059.951 voix, le leader de La France Insoumise n’échoue qu’à 620.000 votes de la deuxième place qualificative. On pourra de même se réjouir de voir le représentant officiel du PS défendre une vision éco-socialiste rien moins que révolutionnaire au regard de la doctrine affichée et de la politique menée jusqu’alors par son parti. On pourra mais il n’en restera pas moins vrai que les options défendues par ces deux candidats s’avèrent cruellement minoritaires au sein d’un électorat français qui plébiscite à plus de 70% une droite plus ou moins dure (de Macron – ni de gauche ni de droite… mais penchant quand même un peu plus d’un côté que de l’autre – à Le Pen en passant par Fillon et Dupont-Aignan).

Comme le note un électeur de Benoît Hamon dans une lettre-hommage à son candidat : « Tout le monde plébiscite des films comme « Demain » de Cyril Dion. Nos murs Facebook ne parlent que de revenir à l’essentiel, de l’importance du bonheur comme la seule richesse qui compte… et au moment du vote, les mêmes oublient que ça devrait être le cœur non négociable de tout projet politique. »[[https://medium.com/@actifred/lettre-ouverte-à-toi-qui-tes-bien-battu-pour-nous-8f8a25b7fad2]]
Peut-être, sans doute, certains et certaines parmi ceux-là ont-ils entendus les appels répétés au « vote utile » pour éviter un second tour Le Pen – Fillon présenté comme cauchemardesque et privilégier une option Macron vantée comme la plus « raisonnable ». L’hypothèse est plausible mais n’altère en rien l’amertume du constat. Car considérer, à l’instar d’un Daniel Cohen-Bendit, que le vote utile devait se traduire par un bulletin Macron, c’était avaliser a priori la faiblesse de l’adhésion aux projets portés par Hamon et Mélenchon. Pire, c’était porter atteinte à leur crédibilité et, plus grave encore, à l’importance des enjeux que ces deux-là mettaient en avant.

Peut-être aussi que, sorti d’un certain cercle, tout le monde ne plébiscite pas des films comme « Demain ».
Peut-être qu’il en est pour qui l’essentiel réside dans un boulot et des perspectives d’avenir, pour qui « l’importance du bonheur comme la seule richesse qui compte » passe par quelques préalables purement matériels.
Et sans doute reste-t-il à créer les conditions et trouver les mots susceptibles de faire comprendre à ces électeurs-là que ce n’est pas seulement de cuisinier qu’il faut changer mais aussi et avant tout de recettes.

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