Nos motivations profondes à protéger la nature

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Durant l’année 2012, les associations naturalistes de la Fédération ont travaillé collectivement à l’élaboration d’une vision commune de la protection de la nature. Ce processus leur a permis d’échanger leurs points de vue et interrogations sur la question et de mettre en évidence les points de convergences et de divergences de leurs approches respectives.
Outre les synergies développées, ces échanges furent l’occasion d’aborder certaines questions fondamentales qui ont fait l’objet de débats passionnants et passionnés. En voici quelques extraits.

Valeur intrinsèque…

Un constat semble faire l’unanimité : la valeur intrinsèque de la biodiversité est le moteur de l’action associative. Un concept qui renvoie au respect profond de toute forme de vie quelle qu’elle soit, à la différence de la logique uniquement « utilitaire » qui considère la nature comme un élément indispensable à la survie de l’homme. Les bénévoles, convaincus de cette valeur, s’engagent dans des actions collectives afin de préserver la biodiversité.

Mais il semblerait que ce mélange de fascination et de respect devant la nature et sa diversité reste l’apanage des scientifiques, environnementalistes et autres naturalistes professionnels ou amateurs. La sensibilisation du grand public à cette valeur intrinsèque s’opère difficilement. En tous cas, l’argument ne semble pas suffisamment porteur que pour entraîner, au sein de la population, des changements d’attitudes et de comportements favorables à la biodiversité.

L’éducation à la nature a certainement un rôle à jouer dans cette prise de conscience. Mais comment peut-on amener le public à découvrir, comprendre et respecter la nature pour ce qu’elle est ? Pour les associations, ce travail de sensibilisation prend du temps. Le temps dont a besoin l’individu « non averti » pour apprivoiser petit à petit l’environnement naturel et tisser un lien affectif avec lui. Car l’éveil à la nature relève avant tout, pour certains, de l’expérience sensible, sensitive.

D’où l’importance de proposer au public des activités étalées sur une voire plusieurs années (formation de guide nature, scoutisme, club nature pour enfants, potagers collectifs, etc.).

La valeur intrinsèque pose également la question de la place de l’Homme dans la nature. En fait-il partie ou se considère-t-il comme extérieur à celle-ci? La valeur intrinsèque renvoie au respect de toute forme de vie. Cette notion n’implique-t-elle pas d’emblée que l’Homme soit une espèce parmi d’autres, ni plus ni moins exceptionnelle ? Pourtant, rien qu’en parlant de « conservation de la nature », en pensant ce système,  nous nous plaçons en dehors de celui-ci.

Nous vivons aujourd’hui la sixième grande crise d’extinction due, cette fois, à l’action de l’espèce humaine sur son environnement. Les autres extinctions massives ont toutes été liées à des causes naturelles. Mais pourquoi l’action de l’homme, si néfaste soit-elle, ne serait-elle pas naturelle, elle aussi ? Pour les associations, c’est une question d’éthique : l’homme a conscience de son action et de ses conséquences.

…et valeur utilitaire

Les valeurs utilitaires associées à la biodiversité sont, quant à elles,  appréhendées de manière évidente par les acteurs dont l’activité dépend des services écosystémiques. Elles sont associées à la résilience des écosystèmes, c’est-à-dire leurs capacités à récupérer un fonctionnement ou un développement normal après avoir subi une perturbation. Assurer la résilience des écosystèmes confrontés à l’érosion de la biodiversité et aux changements climatiques afin de préserver les services qui y sont associés et dont nous dépendons constitue donc un enjeu susceptible de créer une large adhésion (acteurs économiques, grand public, etc.).
Outre les services d’approvisionnement et de régulation assurés par la nature, les associations insistent également sur l’importance de la biodiversité comme élément du tissu culturel. Chaque société humaine a développé ses représentations et usages de la nature (type d’agriculture, d’élevage, loisirs, valeurs spirituelles associées à certaines espèces ou sites sacrés, etc.), etc. Protéger la diversité biologique, c’est donc aussi préserver la diversité culturelle.

Pour les associations, cette approche plus utilitariste de la biodiversité ne constitue cependant qu’un premier pas vers une reconnaissance de sa valeur intrinsèque.

Quelle nature faut-il protéger ?

Par son intervention constante sur le territoire, l’homme freine l’expression des éléments naturels (feu, inondation, colonisation forestière spontanée, etc.). En réduisant cette auto-régulation naturelle des milieux, l’homme est obligé d’intervenir lui-même pour protéger la vie dans sa diversité. Une sorte de devoir moral à accomplir après avoir «mis le boxon ».

Si on laissait faire la nature, les choses finiraient par se ré-équilibrer d’elles-même avec le temps, mais cela impliquerait de disposer d’espaces conséquents pour offrir une place adéquate à ces éléments de notre biodiversité. Au Pays-Bas, la conquête de territoire important sur la mer a permis la création de sites de grande taille gérés selon ces principes (réintroduction de grands herbivores, etc.).

L’homme a toujours eu tendance à hiérarchiser la nature, accordant plus de valeur à certaines espèces qu’à d’autres. Par exemple, il est communément admis que l’épicéa a moins de valeur qu’une orchidée. De même, de nombreux chantiers de gestion de sites naturels assurés par les associations consistent à maintenir un habitat naturel d’origine anthropique et non à le laisser évoluer vers son climax (exemple : l’entretien artificiel de pelouses calcaires).

Mais à partir de quel moment l’action humaine vis-à-vis d’une espèce ou d’un habitat naturel est-elle légitime, justifiée ? Quels sont nos critères de décision pour faire ce choix ? La nature réellement naturelle ne serait-elle pas la nature spontanée?
La valeur intrinsèque que l’on donne à la nature débouche parfois sur une volonté de « figer » les choses, sur une approche passéiste qui ne tient pas toujours compte de l’évolution du contexte environnemental. Par exemple, la hêtraie à luzule est à terme menacée par le réchauffement climatique et pourtant elle est figure parmi les habitats Natura 2000.

La biodiversité dont on a hérité est-elle la biodiversité universelle et éternelle ? De même, en préservant certaines espèces, ne ferme-t-on pas la porte à d’autres ?
Pour les associations, le devoir de l’homme est de créer des opportunités de biodiversité : réunir et maintenir suffisamment de conditions pour que cette valeur intrinsèque persiste. Conserver un capital suffisant pour que la nature puisse continuer à s’exprimer.

Vers une économie de la nature 

Plusieurs recherches, d’initiative privée ou commanditées par les instances régionales et fédérales ont été récemment (ou sont encore) menées en Wallonie afin d’évaluer, sur l’ensemble du territoire, la valeur économique des services éco systémiques en lien avec l’affectation des sols et la mise en œuvre de banques de compensation.
De manière plus globale, cette intégration de la nature dans l’économie, pose la question du risque de voir un jour se développer des mécanismes de marchés liés aux mesures compensatoires. Au niveau international, des mécanismes de marchandisation de la biodiversité se mettent en place via l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), le TEEB (The Economics of Ecosystems and Biodiversity) et le programme REDD+.  L’Europe semble également se tourner vers la prise en compte des enjeux économiques de la biodiversité, notamment par l’intermédiaire de la valorisation des services écosystémiques.

La monétarisation de la nature constitue-t-elle une menace ou une opportunité ? Pour la logique du marché, la nature est une « marchandise », pour les citoyens, il s’agit d’un bien commun. Il y a, à ce jour, peu d’expertise associative sur ces enjeux. Or il est important que la société civile s’empare à son tour de ces questions. Un travail important sur ce sujet sera mené par la Fédération tout au long de l’année 2013.