Nouveau système primes « Energie » : plus juste ? plus efficace ?

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Ce premier avril, le nouveau système de prime énergie-logement est entré en fonction en Région wallonne. Le Ministre de l’énergie s’est réjoui de mettre en place un système qui favorise « ceux qui en ont socialement le plus besoin ». Ce système est-il plus juste ? Plus efficace ? C’est ce que nous allons tenter de voir dans cette niews.

Rétroactes

Dans sa déclaration de politique régionale, le gouvernement wallon s’est notamment engagé à « évaluer l’ensemble des primes pour l’économie d’énergie et celles pour la rénovation des logements, les simplifier, les optimiser avec une attention particulière pour la taille des ménages et les bas et moyens revenus ».

Cet engagement a cependant rapidement souffert de choix politiques et budgétaires en contradiction avec l’ambition annoncée. En effet, lors de l’adoption du budget 2015 le gouvernement wallon a diminué de plus de 41% (68 millions d’euros en 2014 pour un budget de 40 millions d’euros en 2015) le budget alloué au financement des primes énergie-logement. Cette baisse n’est pas compensée par la hausse annoncée du budget pour l’écopack. Le gouvernement wallon a inscrit au budget un montant de 85 millions d’euros pour l’année 2015 contre 75 millions d’euros par le passé mais ce renforcement apparent masque dans les faits une diminution de 10 millions d’euros du budget « ecopack » compensée par le remboursement des prêts alloués sous la législature précédente[[http://nautilus.parlement-wallon.be/Archives/2014_2015/BUDGET/bud62.pdf]].

Par ailleurs, le moratoire au 1er janvier 2015 décidé par le Ministre de l’énergie sur les primes « énergie-logement » a eu pour conséquence de provoquer un rush sur les travaux éligibles aux anciennes primes.

Présentation de la réforme

Les primes sont désormais regroupées en deux catégories : énergie et rénovation.

Les travaux éligibles dans le cadre de la prime énergie, dont la première occupation en tant que logement date d’au minimum 20 ans, sont :

 la réalisation d’un audit énergétique,

 l’isolation thermique du toit ou des combles,

 l’isolation thermique des murs en contact avec l’ambiance extérieure ou un espace non chauffé ou qui n’est pas à l’abri du gel,

 l’isolation thermique des planchers,

 l’installation d’un système de chauffage et/ou d’eau chaude sanitaire performants (chaudière au gaz naturel à condensation, pompe à chaleur pour l’eau chaude sanitaire, pompe à chaleur chauffage ou combinée, chaudière biomasse et chauffe-eau solaire)

Les travaux éligibles dans le cadre de la prime rénovation, dont la première occupation en tant que logement date d’au minimum 20 ans, doivent avoir pour objet :

 les travaux de toiture : remplacement de la couverture, l’appropriation de la charpente du logement, le remplacement d’un dispositif de collecte et d’évacuation des eaux pluviales,

 l’assèchement, la stabilité et la salubrité des murs et du sol,

 l’appropriation de l’installation électrique comportant l’amélioration ou le remplacement du coffret électrique,

 le remplacement des menuiseries extérieures lorsqu’il s’agit d’un simple vitrage ou moyennant avis conforme de l’estimateur relatif à des motifs de salubrité.

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Ventilation des caves 500€ Entre 10% et 40% de la facture
Montants de base = montants pour la catégorie C4.
Montant base n-1 = montants pour la catégorie C4 dans le système antérieur

Les montants de base sont majorés en fonction de :

 la catégorie de revenus du demandeur. Les tranches de revenus sont les suivantes pour l’exercice 2015 et seront indexées

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 Lorsque le logement faisant l’objet des investissements éligibles à la prime se situe en zone d’enjeu communal (tel que défini dans le Code de développement territorial), le montant de base est majoré x 1.1 (pour toutes les catégories de revenus).

Effets du moratoire

Le moratoire instauré fin 2014 et qui a aujourd’hui pris fin a généré un afflux de dossiers. L’administration s’emploie actuellement à réceptionner et à traiter ces dossiers. Il est trop tôt pour présenter un bilan détaillé mais certaines informations sont déjà disponibles et permettent de se représenter l’impact du moratoire.

Le département du logement réceptionne en moyenne 1.500 demandes de primes par mois, il a reçu près de 6.500 dossiers pour le mois de décembre 2014. Cette hausse, par rapport au rythme de croisière, est encore à constater en janvier 2015.

Sur les mois de décembre et de janvier, le département devrait avoir reçu environ 10.000 dossiers pour 3.000 habituellement, soit 333% du nombre de demandes moyen constaté ces dernières années.

En ce qui concerne le département de l’énergie, plus de 14.000 dossiers ont été réceptionnés en décembre, soit 311% du nombre moyen constaté lors des mois de décembre 2012 et 2013. À noter que la « moyenne » mensuelle du nombre de dossier en énergie est de +/- 2000.

La décision soudaine du ministre Furlan d’appliquer un tel moratoire s’inscrit une nouvelle fois dans ce manque de vision à long terme du politique et n’est pas susceptible de rassurer les ménages désireux d’investir dans l’amélioration de la performance énergétique de leur logement. Le risque est de voir ce sentiment d’incertitude ralentir le rythme de travaux ce qui nuisible à la fois d’un point de vue énergétique mais également économique en n’offrant pas assez de chantier au secteur de la construction. Le précédent « Solwatt » qui a vu la filière wallonne du photovoltaïque s’effondrer doit être une piqure de rappel pour nos gouvernants.

Par ailleurs, d’après certains, le budget 2015 pour les primes « énergie » et « rénovation » serait déjà épuisé suite à cet afflux massif de dossiers. Au-delà des retards de paiement de primes qui vont impacter le pouvoir d’achat des ménages à court terme, cette nouvelle va immanquablement renforcer le climat d’incertitude et va forcer le gouvernement a soit mettre le système de primes en stand-by pour l’année 2015 soit puiser dans d’autres budgets pour pouvoir alimenter l’enveloppe consacrée aux primes.

Une réforme plus juste ?

La version précédente du système de primes énergie-logement bénéficiait principalement aux ménages à revenus moyens et supérieurs. Ainsi 85% des primes bénéficient à ces catégories de revenus contre 15% pour les ménages à revenus modestes et précaires, pourtant premier concerné par la nécessité de rénover leur logement. L’écopack avait réussi à augmenter la proportion de travaux réalisés par ces ménages mais un point noir subsistait. En effet, l’analyse des résultats de l’Alliance Emploi-Environnement montre que l’effet d’aubaine pour la dernière catégorie de revenus est important.

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Le tableau montre que pour la dernière catégorie de revenu, 20% des ménages ayant bénéficié de l’écopack auraient réalisés les travaux même sans bénéficier du soutien public.

Pour rendre cette mesure plus efficace en ciblant principalement les deux premières catégories de revenus, il nous semble opportun de n’accorder des aides qu’aux trois premières. Or le gouvernement wallon a conservé cette dernière catégorie de revenus qui s’avère à tout le moins trop large. Nous recommandons donc de supprimer cette dernière catégorie ou de réduire le revenu maximal qui permet d’accéder aux primes. Cette limitation se justifie d’autant que les montants accordés pour ces primes sont très faibles et risquent de renforcer l’effet d’aubaine complet ou partiel. Il est également parlant de constater que selon les annonces du gouvernement wallon, plus de 97% de la population wallonne sera éligible à ces primes. La volonté de recentrer les aides sur les ménages les plus sensibles n’est donc pas rencontrée. Par ailleurs, la majoration des revenus passe de 2.500 € dans le système précédent à 5000 € dans le nouveau système. Les ménages sans enfant à charge, soit 73,5% des ménages wallons se voient donc pénalisés sur base d’aucune information fiable permettant de constater que les ménages nombreux ont proportionnellement une consommation énergétique plus élevée que les isolés ou les familles moins nombreuses.

Un système plus performant ?

Comparé au niveau des autres pays européens, la performance énergétique du bâti belge est médiocre. En effet, selon McKinsey le logement belge a une consommation énergétique en moyenne 72% supérieure à la moyenne européenne[[Mc Kinsey, « Pathways to World Class Energy efficiency in Belgium », 2009, p.12]]. Au vu de l’enjeu social et environnemental que constitue la rénovation énergétique du bâti wallon, on ne peut que s’interroger devant le manque d’ambitions des autorités wallonnes en la matière et de la réduction drastique des budgets alloués à cette politique. Les montants alloués à certains types de travaux sont-ils encore réellement incitatifs ? Le montant de la prime pour une chaudière à condensation au gaz est de 200€ alors que le prix moyen d’une telle chaudière se situe aux alentours de 6000€. On constate donc une baisse globale de l’ensemble des montants de base.

Par ailleurs la suppression de l’obligation d’un audit énergétique avant travaux est une aberration du point de vue de l’efficacité du dispositif. Certaines personnes risquent d’opérer de mauvais choix en isolant leur toiture mais en conservant des ponts thermiques importants. Ou en installant une chaudière à condensation dans une passoire énergétique.
Les suppléments accordés lors de l’utilisation de matériaux naturels ont également été supprimés. Si des travaux avec de tels isolants étaient principalement réalisés par les catégories de revenus supérieurs, ils avaient l’avantage de soutenir une filière d’avenir, locale en plein essor. Le secteur de l’écoconstruction risque donc de pâtir de la fin de ces aides alors que la majorité précédente avait logiquement soutenu ce secteur d’activités en plein essor via ce soutien mais également via des offres de formations. La réduction des primes Soltherm risque également d’avoir le même impact sur tout un secteur d’activité.
Cette absence de vision à plus long terme est dommageable pour l’environnement, pour la santé ou encore pour la lutte contre la précarité énergétique mais c’est également un mauvais choix en termes de déploiement économique et de finances publiques. Une analyse plus approfondie des impacts macroéconomiques a permis de montrer que pour 1 euro investi par les pouvoirs publics, ils récupèrent entre 2 et 4 euros grâce aux impôts et aux taxes supplémentaires, générées par les travaux[[Kronenberg, « Macroeconomic effects of the German Government’s building rehabilitation program », 2013, p.12]].

Directive efficacité énergétique

Selon l’article 4 de la directive « efficacité énergétique »[[Directive 2012/27/UE relative à l’efficacité énergétique http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2012:315:0001:0056:fr:PDF]], les pays ont été contraints de rendre public leur stratégie nationale en matière de rénovation du parc immobilier. Ainsi, la Région wallonne, compétente en la matière, a signifié à la Commission européenne fin 2014 que son principal outil en matière de rénovation énergétique du bâti wallon serait le système de primes énergie-logement. Il apparait désormais difficile pour ne pas dire impossible que la Région puisse remplir ses obligations en la matière en réduisant de manière aussi importante les enveloppes budgétaires allouées aux primes. La Wallonie risque donc de s’attirer les foudres de la Commission européenne et de se voir sanctionnée si elle n’obtient pas de nouvelles économies d’énergie correspondant à 1,5 %, en volume, des ventes annuelles d’énergie aux clients finaux.