Une taxe au ras des pâquerettes

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En décidant de taxer (un peu) les billets d’avions pour combler un très inesthétique trou dans son budget, le gouvernement fédéral a déclenché un fameux concert de protestations. Craintes d’un secteur plus habitué à recevoir des subsides des Etats qu’à leur verser des taxes, inquiétudes d’un gouvernement régional ayant inconsidérément englouti des fortunes dans le développement de deux « fleurons » aéroportuaires… Des ténors aux sopranos, chacun y est allé de son petit couplet, avant de reprendre en ch½ur un refrain à la gloire de la croissance sans entraves du transport aérien, assez mal venu en ces temps de grande inquiétude pour le devenir de la planète.

Nouvelle preuve que, pour paraphraser Georges Orwell, si les trois piliers du développement durable sont égaux, il en est un (l’économique) de plus égal que les autres. Cette pantalonnade nous rend assez amers. Nous la considérons comme quadruplement navrante.

La politique du trou bouché

Le bouclage du budget constitue une étape importante de la vie d’une démocratie. Il s’agit de mettre en adéquation les axes de la politique de l’Etat et les ressources dont celui-ci dispose. Dès lors, certains arbitrages douloureux doivent être réalisés, certaines ambitions doivent être revues à la baisse. L’exercice se terminant de coutume tard dans la nuit (moment propice, semble-t-il, à l’expression d’une certaine « créativité » politique), des propositions assez… inattendues sont souvent émises pour tenter de boucher les ultimes « trous ».
Il est, par ailleurs, plus que légitime que les gouvernements (comme ce fut le cas en Hollande, en France, au Royaume-Uni) s’intéressent à un secteur fonctionnant dans un univers parallèle, peuplé de subsides directs et indirects (pas de taxes carburant, pas de TVA sur les billets, aides pour le lancement de nouvelles liaisons, aides massives à Airbus et Boeing, …).
Mais il est plus que regrettable que cette attention portée au secteur aérien soit déconnectée de toute vision stratégique. Le Conseil fédéral du développement durable (CFDD) a déjà souligné la nécessité de maîtriser la demande de transport, notamment aérien[Voir par exemple [Avis-cadre pour une mobilité compatible avec le développement durable]]. A peine écouté, le message du CFDD n’a jamais été entendu. Le signal envoyé par le gouvernement fédéral ne peut donc que conforter l’image que tente de se donner le secteur : celui d’une « vache à lait », soumise à une « overdose de taxes »[Comme le martelait Giovanni Bisignani, Chief Executive Officer de l’IATA, lors d’un [discours prononcé le 05 juin 2006]] imputable aux sautes d’humeurs de gouvernements sans vision et aux poches trouées…

L’IATA et la « folie collective »

L’association internationale du transport aérien (IATA) a très violemment réagi à l’annonce de la décision du gouvernement fédéral (tombant, hasard du calendrier, en même temps qu’une décision analogue en Irlande), allant jusqu’à évoquer la « folie collective » dont sont saisis les gouvernements de plusieurs Etats membres européens. Il y a quelque chose de profondément indécent dans cette attitude émanant d’un secteur faisant l’objet de l’attention bienveillante des décideurs politiques à tous les niveaux de pouvoirs. Si, en dépit d’une forte croissance (en volumes de transport), le secteur est « dans le rouge », c’est en raison d’une surcapacité et d’une continuelle guerre des prix entre opérateurs. Chacun attend que l’autre « tire le premier », ou plus exactement augmente ses tarifs le premier. De même, à l’heure actuelle, les opérateurs maintiennent les surcharges carburant malgré la baisse momentanée des prix du baril : que l’un viennent à les supprimer, les autres suivront. Mais dans l’attente, le secteur maintient ainsi ses propres « taxes », déniant aux pouvoirs publics le droit de le faire.

La réaction du gouvernement wallon

Le Gouvernement wallon, dont la volonté de développer le transport aérien ne s’est pas démentie depuis le début des années 1990, craint que l’introduction d’une taxe sur les billets d’avions ne mette à mal ses deux « fleurons ». Le Gouvernement met en avant les efforts consentis pour développer les plates-formes aéroportuaires de Bierset (Liège) et Gosselies (Charleroi) sur les décombres encore fumants des deux hauts lieux de l’industrie métallurgique wallonne. Efforts allant parfois au-delà de la décence (on se rappellera l’épisode des subsides indûment versés à Ryanair et dénoncés par la Commission européenne). Le gouvernement déplore l’effet pervers de la taxe sur les billets d’avion sur l’économie. Il oublie quelque peu les effets pervers (sur l’environnement cette fois) de sa propre politique, ayant engendré une véritable explosion (multipliées par 78 sur la période 1990 – 2005) des émissions de gaz à effet de serre par le secteur aérien en Wallonie !

L’exemption de taxes demeure

Introduire une taxe sur les billets d’avions peut engendrer deux effets positifs. D’une part, en renchérissant le produit, on peut amener les citoyens à le consommer avec plus de modération. D’autre part, avec les rentrées financières, on peut investir dans le développement d’alternatives plus durables (remettre en place des liaisons ferroviaires internationales hors grande vitesse par fusion de lignes IC par exemple). Rien de tel ici : le signal-prix sera mal perçu (effet vache à lait) – et les moyens budgétaires redirigés vers un trou existant !
Une manière plus positive d’aborder le problème serait de ramener quelque peu d’équité entre les modes de transport pour les voyages internationaux. Est-il normal que les billets de trains, bateaux et bus pour les voyages internationaux soient soumis à la TVA, et pas ceux pour les trajets en avion ? Il y aurait là une mesure juste, et donc plus facilement acceptable par le citoyen qu’une mesure aux contours mal définis. Le signal prix serait aussi beaucoup plus clair (21% de TVA sur un billet à 500 euros, ça fait réfléchir…). De quoi amener peut-être certains amateurs de mini-trips aériens à revoir leurs habitudes. Passer un week-end à Madrid ou à New-York, cela peut en effet avoir un côté fort plaisant. Mais c’est également, au regard des défis auxquels est confrontée l’humanité dans son ensemble, pour le moins questionnable.

Avec cet épisode peu reluisant, on atteint la limite à partir de laquelle les beaux discours en faveur du développement durable perdent toute crédibilité. La limite à partir de laquelle le pilier environnemental ne serait plus systématiquement sacrifié sur l’autel de ce que d’aucuns considèrent comme un droit souverain : le droit de poursuivre des comportements non durables au nom d’impératifs « économiques » primant sur toute autre considération.