Véhicules lourds : des objectifs CO2 ambitieux, vite !

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L’efficacité énergétique des camions pourrait être 18% plus élevée, et donc leurs émissions de CO2 18% plus basses[Les émissions de CO2 sont directement proportionnelles à la quantité de carburant consommé.]]. Cela réduirait de 5.700 euros environ la facture de carburant annuelle d’un tracteur routier. Ceci simplement en utilisant des technologies disponibles. Voilà une des conclusions principales du nouveau rapport de T&E[[Transport & Environment. 2017. Uptake of truck fuel efficiency technologies – [https://www.transportenvironment.org/publications/uptake-truck-fuel-efficiency-technologies]]. Le marché n’est pas apte à faire percoler ces technologies. Une action politique est requise d’urgence.

Moins de 5% des véhicules circulant sur les routes européennes sont des véhicules lourds, mais leurs émissions représentent, aujourd’hui, environ 30% des émissions de CO2 du trafic routier. Elles ont augmenté de 36% entre 1990 et 2010 et continuent de croître[European Commission, 2014. Strategy for reducing Heavy-Duty Vehicles’ fuel consumption and CO2 emissions, p. 3]]. Deux raisons principales expliquent la hausse continue des émissions du transport routier de marchandises. Premièrement, une demande en croissance. Trois quarts du fret européen sont transportés par route et les parts du rail et des voies d’eau intérieures continuent à décroître[[[http://ec.europa.eu/eurostat/web/products-eurostat-news/-/DDN-20170526-1?inheritRedirect=true&redirect=%2Feurostat%2F]]. Deuxièmement, une efficacité énergétique qui stagne depuis une vingtaine d’années[ICCT, 24/04/2017, Shell game? Debating real-world fuel consumption trends for heavy-duty vehicles in Europe, [http://www.theicct.org/blogs/staff/debating-EU-HDV-real-world-fuel-consumption-trends]]. Ce qui est assez interpellant quand on sait que les technologies de réduction des émissions sont disponibles : des études menées pour la Commission européenne ont démontré qu’une amélioration de 35% de l’efficacité énergétique est réalisable sans augmenter le « total cost of ownership ». Aux USA, un programme de recherches sur 5 ans piloté par Daimler a permis de mettre au point un « super truck » consommant 19,3 l/100 km (contre environ 34,5 l/100 km pour un 40 t ordinaire).[[http://www.freightlinersupertruck.com/#main]]

Une étude récente de l’ICCT (l’ONG qui permis de révéler le scandale du dieselgate) chiffre à 43% en 2030 l’amélioration potentielle de l’efficacité énergétique tant des tracteurs routiers que des camions rigides (notamment utilisés pour les livraisons en ville)[[ICCT. 2017. Fuel efficiency technology in European heavy-duty vehicles: baseline and potential for the 2020-2030 timeframe, p. 3]]. Une autre étude réalisée pour le compte de l’ICCT a conclu que 30% des technologies permettant de réduire les émissions de CO2 pouvaient être amorties sur une période de trois ans[[Ricardo Energy & Environment. 2017. Heavy Duty Vehicles Technology Potential and Cost Study, p. 88]].

Les faiblesses du marché

Dans le document publié ce 26 septembre, T&E s’est intéressé à sept technologies applicables aux ensembles « tracteur-remorque » et cinq applicables aux camions rigides. Elles ont toutes un potentiel de réduction de la consommation de carburant d’au moins 1%, sont actuellement disponibles et ont un taux de pénétration du marché inférieur à 50%. Pour les ensembles « tracteur-remorque », l’adoption conjointe de ces sept technologies permettrait d’économiser 18% de carburant. Ces technologies sont, en moyenne, disponibles depuis sept ans mais n’ont un taux de pénétration du marché que de 14%. Côté camions rigides, les cinq technologies sont également présentes depuis sept ans en moyenne, ont un taux de pénétration de 17% et permettraient, si elles étaient appliquées ensemble, d’économiser 13% de carburant. Quand on sait que les coûts de carburant représentent 25 à 30% des coûts opérationnels[[European Commission. 2014. Impac assessment accompanying the document Strategy for Reducing Heavy-Duty Vehicles Fuel Consumption and CO2 Emissions, p. 118]], on est en droit de se demander pourquoi les transporteurs ne se ruent pas sur ces technologies. T&E identifie quatre raisons principales :

  • des moyens financiers limités (les marges bénéficiaires des transporteurs sont serrées et ne leur permettent pas d’investir aisément dans ces technologies, même si les bénéfices sont certains) ;
  • une mauvaise information pouvant amener les transporteurs à s’interroger sur les bénéfices réels des technologies et sur leurs propres capacités à assurer leur maintenance ;
  • un cantonnement de ces technologies dans la catégorie « options », ce qui pourrait résulter d’un choix stratégique des constructeurs qui peuvent plus aisément les surfacturer ;
  • un retour sur investissement qui ne concerne pas toujours uniquement l’acheteur (cas des remorques partagées).

Il convient d’ajouter à cette liste une offre très uniforme due entre autres à des pratiques d’ententes commerciales avérées. Celles-ci ont amené la Commission européenne, en juillet 2016, à infliger à 5 constructeurs de camions (MAN, Volvo/Renault, Daimler, Iveco et DAF) des amendes d’un montant cumulé de 2,93 milliards d’euros[[Commission européenne, 19/07/2016, Pratiques anticoncurrentielles : la Commission inflige une amende de 2,93 milliard, communiqué de presse]].

Le besoin de légiférer

Les problèmes étant identifiés, comment y répondre ? En forçant la main aux constructeurs, en les contraignant à atteindre des objectifs de réduction des émissions de CO2, comme cela se pratique pour les véhicules légers. Ce que la Commission européenne commence à mettre en place. Il est plus que temps d’ailleurs que la vieille Europe rejoigne une dynamique mondiale : des normes d’efficacité énergétique des véhicules utilitaires lourds ont déjà été introduites au Japon (2005), aux USA (2011), au Canada (2012) et en Chine (2015).

En mai de cette année, la Commission et les Etats membres ont adopté la procédure VECTO (en chantier depuis 2009-2010…), outil permettant de calculer de manière fiable la consommation de carburant et les émissions de CO2 des véhicules utilitaires lourds neufs. La Commission publiait aussi une proposition de règlement relatif à la surveillance et à la communication de la consommation et des émissions des véhicules utilitaires lourds neufs vendus en Europe[[Commission européenne, 2017, Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant la surveillance et la communication des données relatives aux émissions de CO2 et à la consommation de carburant des véhicules utilitaires lourds neufs, COM(2017) 279 final]]. La prochaine étape devrait être franchie début 2018, avec la publication d’une proposition d’objectifs de réduction de la consommation de carburant et des émissions de CO2. Laquelle offrirait aux Etats membres une aide bienvenue pour parvenir à réduire les émissions dans un secteur qui échappe pour le moment à tout contrôle, mais auquel le règlement ESR (Effort Sharing Regulation) contraint lesdits Etats à « s’attaquer ». Ainsi, l’ESR fixe à la Belgique un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre des secteurs non-ETS de 35% entre 2005 et 2030. Les secteurs visés sont le transport, les bâtiments, l’agriculture et les déchets, le transport étant celui dont les émissions sont les plus importantes – et le seul à ne pas encore les avoir réduites. Il reste à espérer que, dans ces conditions, tant la Commission que le Parlement européen et le Conseil auront à cœur d’adopter des objectifs ambitieux. Les ONG d’environnement y veilleront.