A quand des trains qui roulent au vert en Belgique ?

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« Depuis le 1er janvier, 100% de nos trains roulent à l’énergie éolienne », clamait avec fierté en ce début 2017 le porte-parole de la NS, compagnie des chemins de fer des Pays-Bas, suite à un partenariat avec Eneco, producteur d’énergie néerlandais. De quoi piquer notre curiosité à investiguer si un tel projet était envisageable en Belgique et à quelles conditions. Plus largement, où en est-on, chez nous, en matière de consommation et de production d’énergie par le secteur ferroviaire ?

Nous remercions M. Willy Bontinck (SNCB) et M. Walter Aersten (Infrabel), ainsi que les services communication de la SNCB et d’Infrabel pour leur disponibilité à répondre à nos questions sur la politique énergétique de leurs entreprises respectives.

Le secteur ferroviaire, un important consommateur d’énergie

Avec 1,9 TWh consommés chaque année, le secteur ferroviaire dans son ensemble (transport de voyageurs, de marchandises et l’infrastructure associée) peut être considéré comme un acteur de poids dans la consommation énergétique du pays. Il représente ainsi presque 2% de la production électrique annuelle belge, ce qui en fait l’une des entreprises les plus consommatrices du pays.

Concrètement, à quoi est utilisée toute cette énergie ? Quels sont les différents postes de la consommation énergétique du secteur ?

La consommation des trains se répartit tout d’abord selon le type de trafic envisagé. Ainsi, le trafic intérieur de passagers représente 78,4% de la consommation totale, auquel s’ajoute 9,5% pour le trafic international de passagers (Thalys, Eurostar, SNCB). Le trafic de marchandises représente quant à lui 12% de la consommation totale.

Il importe ensuite de distinguer l’énergie utilisée pour faire circuler les trains, dénommée « énergie de traction », des autres postes rassemblés sous l’appellation « non traction ». Pour la SNCB, ces derniers concernent l’énergie utilisée dans les 136 gares et 417 points d’arrêt du pays (chauffage, électricité), dans les 14 ateliers et 16 postes d’entretien, dans les 180.000 m2 de bâtiments administratifs (centraux et dans les différents districts du pays), dans les 200 autres bâtiments de service.


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Figure 1 Consommation énergétique SNCB (chiffres 2016, source : SNCB)

L’électricité de traction est actuellement fournie par Infrabel, le gestionnaire d’infrastructure du réseau ferroviaire, à ses clients, les opérateurs ferroviaires (SNCB, B-Logistics, Thalys, etc.) et gestionnaires de bâtiments (SNCB). Concrètement, après avoir été produite par des centrales nucléaires, thermiques (ex : gaz naturel) ou issue de sources renouvelables, l’électricité est transportée à un haut niveau de tension de courant alternatif jusqu’aux sous-stations de traction d’Infrabel. Le gestionnaire d’infrastructure transforme alors la tension et la distribue via les caténaires. Le courant est ensuite amené au train à travers les pantographes (fig.2). Cette électricité sert tant à « faire rouler les trains » (locomotives ou automotrices) qu’à chauffer, éclairer ou climatiser ceux-ci. Le chauffage des trains représente à lui au seul 10 à 15% de la consommation électrique des trains !

Que ce soit pour l’énergie de traction ou de non-traction, Infrabel est mandatée par un groupe représentant les sociétés ferroviaires les plus importants (SNCB, B-Logistics, Thalys) pour lancer une procédure d’achat (adjudication publique) quatre ans à l’avance. Les fournisseurs qualifiés sont peu nombreux (6 ou 7 à l’heure actuelle).


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Figure 2 Schéma du circuit de l’électricité de traction (Source : Infrabel)

Evolution de la consommation énergétique

Comment a évolué la consommation énergétique du secteur ces dernières années et quels objectifs se fixe la SNCB en la matière ? La situation est très différente selon le type d’énergie envisagé.

Une évolution positive est clairement perceptible en matière de chauffage des bâtiments (-22% d’énergie dépensée entre 2012 et 2017, en tenant compte des degrés-jours[[La notion de « degré-jour » permet de déterminer la quantité de chaleur consommée sur une période donnée, indépendamment des conditions météorologiques, en donnant une image du profil moyen des besoins en chauffage.]]), valorisant les efforts réalisés en matière de performance énergétique des bâtiments (comptabilité énergétique, isolation, rénovation, campagne de sensibilisation aux économies d’énergie, etc.), mais aussi tenant compte de la fermeture de certaines gares. Des projets de rénovation ou de nouveaux ateliers (Arlon, Kinkempois, Melle) devraient permettre de poursuivre sur cette lignée positive. Les objectifs fixés pour 2020 sont de réduire de 14% la consommation de chauffage entre 2014 et 2020.

En matière d’électricité dans les bâtiments et points d’arrêt, les défis sont plus importants en raison d’une véritable surconsommation électrique depuis quelques années. En effet, se sont multipliés en gares escalators et ascenseurs, en ce compris pour desservir des parkings souterrains multipliés par trois (!), installation d’éclairages, de caméras, écrans d’information ou publicitaires (installés par Publifer[[L’impact énergétique de ces installations publicitaires n’est donc pas comptabilisé dans les chiffres repris ici.]]), etc. Cette surconsommation, bien que réduite en partie par l’installation de plus en plus fréquente de luminaires LED, a pour conséquence une augmentation de la consommation électrique (non traction) d’environ 20% depuis 2005 (fig. 3) ! La gare d’Anvers-Central (installée sur trois niveaux) représente à elle seule 10% de la consommation électrique de toutes les gares belges ! L’ambition que se fixe donc la SNCB est de stabiliser la consommation électrique (non traction) en 2020 au niveau de 2014. Pour ce faire, elle envisage notamment d’équiper d’ici à 2020 un tiers de ses quais en éclairage LED.


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Figure 3 Evolution de la consommation électrique non traction (source : SNCB)

Ces différents résultats (en particulier les efforts concernant le chauffage) ont permis au secteur ferroviaire d’atteindre les objectifs qui lui avaient été fixés en 2004 par le Ministre des Entreprises publiques de l’époque, Johan Vande Lanotte (sp.a), à savoir réduire la consommation énergétique hors traction de 20% entre 2005 et 2020[[Objectif d’ailleurs repris dans les Contrat de gestion 2008-2012 d’Infrabel.]]. Ce défi a été réalisé en 2016. Depuis lors, un nouvel objectif a été fixé par la SNCB: réduire la consommation énergétique de 7% entre 2014 et 2020 pour la non traction.

L’évolution de l’électricité de traction SNCB, quant à elle a évolué comme l’indique la fig. 4 . Les conditions météorologiques (favorables en 2011 et 2014, plus difficiles en 2010, 2012 et 2013) ont eu un impact direct sur la consommation énergétique. De même, la réforme du secteur influence ces données : dès 2011, B-Logistics était désormais considérée comme entreprise indépendante (donc sortie des statistiques). En 2015, c’était au tour de Thalys de disparaître des chiffres SNCB.


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Figure 4 Evolution de la consommation d’électricité de traction (Source : SNCB)

Pour disposer d’une image plus réaliste de l’énergie de traction consommée, l’énergie primaire spécifique (c’est-à-dire par voyageur-km plutôt que totale) nécessaire pour faire rouler les trains de voyageurs est un bon indicateur. On constate que l’évolution est positive pour la période entre 1990 et 2016 (-15%), période ayant aussi enregistré une augmentation significative du nombre de voyageurs-km transportés (+53% entre 1990 et 2016).


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Figure 5 Consommation spécifique d’énergie primaire pour les trains de voyageurs (source : SNCB)

Vers une énergie verte ?

Promouvoir une énergie plus durable, c’est d’abord travailler sur la réduction de la consommation électrique. A cet égard, en matière d’énergie de traction, le comportement du conducteur est très important, la consommation pouvant varier de 20 à 30% sur un même trajet selon le type de conduite effectué. B-Logistics (trafic marchandises), par exemple, a organisé une compétition en 2015 pour un trajet-type (Monceau – Aix-la-Chapelle). Les résultats sont sans appel : la consommation des trains conduits par ces « e-drivers » a baissé de 25%[B-Logistics a d’ailleurs gagné le « [Belgian Energy & Environment Award 2016 » avec cette expérience.]]! Dans la même idée, l’optimisation du comportement du train (accélération, décélération, roulement sur l’air, freinage, etc.), en calculant la vitesse optimale, permet une plus grande efficacité énergétique. Un premier test d’intégration de ce paramètre est prévu fin de l’année à travers le système « Automatic Train Operation » (ATO).

Si l’amélioration de l’efficacité énergétique est une priorité, qu’en est-il de la possibilité de se fournir en énergie verte, voire de la produire directement ?

A ce jour, rien n’oblige Infrabel ni la SNCB à se fournir en énergies renouvelables. Le contrat de gestion de la SNCB 2008-2012 (toujours en vigueur) reste très timide sur la question[[« La SNCB examine les partenariats possibles pour la construction d’installations utilisant des sources d’énergie alternatives, telles que la cogénération, l’énergie solaire, l’énergie éolienne, … La SNCB examine les partenariats possibles pour l’installation de panneaux à cellules photovoltaïques, par exemple sur le toit de grands bâtiments tels que des ateliers. La SNCB examine également les partenariats possibles afin d’installer des éoliennes aux endroits adéquats » (Contrat de gestion entre l’Etat belge et la SNCB 2008-2012, version consolidée du 17 janvier 2014 après 4e avenant, pp. 41-42).]]. Celui d’Infrabel est du même acabit : il prévoit que le gestionnaire d’infrastructure (comme l’opérateur) puisse « étudier les partenariats possibles » en production d’électricité verte sans grande précision ou impulsion supplémentaire.

Point d’obligation, donc. Quelles seraient alors les initiatives possibles ?

La première concerne le choix d’un fournisseur d’électricité verte, soit par Infrabel, soit par les opérateurs eux-mêmes. Du côté d’Infrabel, « suite à une concertation avec les entreprises ferroviaires, Infrabel a décidé de ne pas appliquer d’obligations lors d’achat de courant de traction concernant l’énergie renouvelable. Les entreprises ferroviaires qui souhaitent consommer de l’énergie verte peuvent acheter elles-mêmes les garanties d’origines et les faire supprimer auprès des instances compétentes[[Infrabel, Your Power. Energie de traction 2017, février 2017, p. 12.]] » . Légalement, tout opérateur de transport peut théoriquement choisir son fournisseur d’énergie. Il doit pour ce faire installer un compteur d’électricité sur chacun de ses trains afin de pouvoir calculer la consommation effective à facturer. A ce jour, aucun opérateur n’a installé de pareils compteurs sur ses trains, à l’exception de B-Logistics (marchandises) pour certaines locomotives[[La consommation des autres trains étant calculée sur base d’une formule prenant en compte la composition du train et la distance.]]. Ils sont néanmoins prévus sur les trains à double étage M7, dont la commande est en route et sur les automotrices Desiro et les locomotives des séries 18 et 19.

Deuxième piste : acheter des garanties d’origine. Comment ça marche ? Un producteur d’électricité en Europe a droit à une quantité de labels de garantie d’origine équivalente à sa production d’énergie renouvelable. Il peut ensuite vendre ces labels à un fournisseur ou à un opérateur comme la SNCB qui pourra les « coller » sur sa consommation pour la « verdir ». Problème : il n’y a pas de marché de labels de garantie d’origine suffisant au niveau européen et leur prix demeure donc ridiculement bas. Pour un opérateur, verdir son électricité est donc bon marché et le faire n’incite donc pas les producteurs d’électricité à produire davantage d’électricité renouvelable. Nous sommes donc à la limite d’un greenwashing.

Si les LGO (labels garanties d’origine) ne constituent donc pas la panacée dans les conditions actuelles, une piste plus sérieuse serait que le gestionnaire d’infrastructure et/ou les opérateurs et gestionnaires de bâtiments produisent eux-mêmes leur propre énergie renouvelable.

Des projets pilotes existent d’ailleurs déjà en la matière, avec de bons résultats, dans la région d’Anvers (« tunnel solaire ») et le long de la ligne à grande vitesse Leuven-Liège (projet éolien « Greensky »).

Le nouveau Code de développement territorial (CoDT), qui entrera en vigueur en juin 2017, soutient d’ailleurs, côté wallon, en zone agricole, l’installation de mâts éoliens à proximité (max. 1500m) des voies ferrées, celles-ci étant considérées comme des zones privilégiées pour le développement éolien. Infrabel privilégie donc les projets en lien direct avec les installations ferroviaires, c’est-à-dire établies sur ses propres terrains ou à proximité, avec injection directe au sein des sous-stations. Mais un frein sérieux existe : un parc éolien ne pourra injecter directement sur le réseau électrique d’Infrabel que dans les cas assez rare où l’injection dans le réseau de distribution est deux fois plus chère ou si la demande de raccordement au réseau a été refusée. Cette impossibilité d’utiliser le réseau Infrabel comme réseau alternatif pour le transport de l’électricité renouvelable pose question.

Quelles recommandations ?

Au terme de ces premières réflexions sur la politique énergétique du secteur ferroviaire, quelles recommandations peut-on formuler prudemment ?

En matière d’efficacité énergétique :

  • La priorité n°1 est d’augmenter le taux moyen d’occupation des trains en favorisant leur utilisation pour d’autres motifs que les trajets domicile-travail et ainsi augmenter les parts modales du train !
  • Fixer des objectifs d’efficacité énergétique par le secteur ferroviaire dans les prochains contrats de gestion ;
  • Faire de l’efficacité énergétique un critère de choix du matériel roulant, à faire figurer dans les cahiers des charges (masse, récupération de l’énergie au freinage, tester la possiiblité de transformateurs sans système de refroidissement à l’huile[[Electrosuisse Bulletin, « L’efficacité énergétique chez les CFF », mars 2017.]], etc.) ;
  • Accroître la pratique effective de l’éco-conduite par les conducteurs de train, notamment en systématisant l’installation de compteurs d’énergie (la Norvège ou l’Allemagne ont ainsi réalisé des économies de 10 à 20% en 5 ans[Infrabel, [Your Power. Energie de traction 2017, février 2017, p. 14.]]) et en augmentant la formation dans ce domaine ;
  • Tester la possibilité d’implémenter un système d’assistance à la conduite (ou de conduite automatisée) qui calcule la vitesse des trains afin d’optimaliser la conduite éco tout en respectant scrupuleusement l’horaire (voir expérience des CFF en Suisse[[CFF, Op. cit.]]) ;
  • Optimiser l’utilisation de la capacité des lignes ;
  • Poursuivre l’installation d’éclairage LED en gares et sur les quais ;
  • Afin d’accroitre l’accessibilité PMR aux points d’arrêt non gardés, envisager l’installation de rampes plutôt que d’ascenseurs aux points d’arrêt
  • Promouvoir la multimodalité des gares ferroviaires : intégration des gares bus, tram, métro dans la gare ferroviaire, davantage de parking vélos, etc.
  • Améliorer l’efficacité énergétique des écrans, ascenseurs, escalateurs, éclairage, etc. dans les gares. Motiver les concessionnaires dans les gares à suivre cet exemple et réduire la présence des écrans publicitaires dans les gares ;
  • Adapter davantage le type de matériel roulant et la composition des trains aux besoins de mobilité (heure et trajet en question) ;
  • Poursuivre les projets de rénovation des gares, bâtiments administratifs et ateliers en vue d’améliorer leur efficacité énergétique ;

En matière de production d’énergie renouvelable :

  • Multiplier les installations photovoltaïques (PV) sur le toit des bâtiments SNCB et Infrabel ;
  • Favoriser l’utilisation des terrains situés à proximité des infrastructures ferroviaires pour la production d’énergie renouvelable ;
  • Elaborer une cartographie des terrains disponibles appartenant à Infrabel pour le développement de l’énergie éolienne à proximité des sous-stations électriques ;
  • Favoriser l’utilisation du réseau électrique Infrabel pour le développement des énergies renouvelables (injection directe) ;
  • Envisager une révision des distances de sécurité aux infrastructures de transport pour l’implantation de sources d’énergie éolienne (réduire les minima) ;

De façon plus générale :

  • Développer une stratégie énergétique à long terme pour les transports publics
  • Associer les acteurs du secteur ferroviaire aux discussions sur les changements réglementaires qui influencent le domaine de l’énergie.

Céline Tellier

Anciennement: Secrétaire générale et Directrice politique