La bonne gouvernance et Natura 2000

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L’ambitieux projet européen « Natura 2000 » a pour effet de réviser, en Wallonie, les droits d’usage associés à la propriété de milliers de personnes sur près de 13 % du territoire désignés en Natura 2000. Il affecte donc une multitude d’activités économiques : forestières, agricoles, touristiques, extractives… Cette révision des droits d’usage interviendra principalement avec la cartographie précise des sites Natura 2000. Cette cartographie présente les unités de gestion regroupant les espèces et les habitats qu’il convient de protéger ou de restaurer. Natura 2000 est donc un dossier éminemment complexe et sensible surtout si l’on souhaite que les propriétaires et gestionnaires concernés adhèrent à ce projet.

Véritable dossier test de la gouvernance wallonne donc, Natura 2000 vient encore de vivre un épisode critique, véhiculant une image désastreuse auprès de ceux que l’on voudrait encourager à s’engager pour la protection de notre biodiversité. L’absence d’analyse transversale et de concertation au sein de l’administration sur l’élément clé de ce dossier qu’est la cartographie a laissé passer des orientations politiques que le Ministre ne pouvait accepter. L’augmentation substantielle du périmètre des sites a amené le Ministre à postposer sine die les enquêtes publiques prévues au mois de juin. Mais ce report très médiatique ne met à jour que la partie émergée de l’iceberg. Ce dossier, depuis sa conception, souffre d’un déficit de « bonne gouvernance ».

La « bonne gouvernance », concept encore peu abordé aujourd’hui en Wallonie, n’est pourtant pas une notion nouvelle. Elle est à l’agenda politique wallon de la Déclaration de Politique Régionale, mais sous un angle plutôt restrictif. Elle s’y limite aux enjeux de politique « politicienne », telle la politisation de l’administration, le cumul des mandats, … Or, la notion de bonne gouvernance publique s’est surtout développée pour répondre à la critique d’une démocratie insuffisamment représentative et d’une gestion publique sourde aux préoccupations et attentes des citoyens.

Ce n’est malheureusement pas cette acception large du concept (voir ci-dessous) qui a percolé dans notre Région. Les problèmes et errements du dossier Natura 2000 illustrent, depuis son lancement, le déficit de bonne gouvernance en Région Wallonne. La Fédération Inter-Environnement Wallonie suit ce dossier depuis ses débuts et propose une petite analyse de ce processus sous l’angle de la « bonne gouvernance ».

LES PRINCIPES DE BONNE GOUVERNANCE

L’OCDE et la Commission Européenne dans son livre blanc de 2001 ont défini les principes directeurs de la bonne gouvernance, que nous résumons ici. Il s’agit d’une synthèse des principes énumérés par chacune de ces institutions qui envisageaient la bonne gouvernance dans des perspectives légèrement différentes.

Participation et transparence

La qualité, la pertinence et l’efficacité des politiques dépendent d’une large participation des citoyens à tous les stades, de la conception à la mise en ½uvre des politiques. La participation dépend de manière déterminante de l’adoption par les administrations centrales, pour la conception et la mise en ½uvre des politiques, d’une approche faisant précisément appel à la participation de tous. De plus, l’action, les décisions et la prise de décision des administrations publiques sont, dans une certaine mesure, ouvertes à l’examen des autres secteurs de l’administration, du Parlement, de la société civile et parfois d’institutions et d’autorités extérieures. Elle vise également l’emploi d’un langage accessible et compréhensible par le grand public. L’amélioration de la participation et de la transparence devrait accroître la confiance dans le résultat final et dans les institutions qui produisent les politiques.

Cohérence et responsabilité

Les politiques menées et les actions entreprises doivent être cohérentes et parfaitement compréhensibles. La cohérence passe par la capacité d’imprimer une direction politique et par une prise de responsabilité affirmée de la part des institutions, afin de garantir une approche intégrée dans un système complexe. Les administrations publiques sont capables et désireuses de montrer en quoi leurs actions et leurs décisions sont conformes à des objectifs précis et convenus.

Efficience et efficacité

Les administrations publiques s’attachent à une production de qualité, notamment dans les services rendus aux citoyens, et veillent à ce que leurs prestations répondent à l’intention des responsables de l’action publique. Les mesures doivent être efficaces et intervenir au bon moment. Elles doivent produire les résultats requis, à partir d’objectifs clairs et d’une évaluation de leur impact futur et de l’expérience antérieure, là où elle existe. L’efficacité demande également que les politiques instaurées soient appliquées de façon proportionnée. Enfin, l’efficacité implique l’évaluation des politiques mises en ½uvre.

La réceptivité et la prospective

Les autorités publiques ont les moyens et la flexibilité voulus pour répondre rapidement à l’évolution de la société, tiennent compte des attentes de la société civile lorsqu’elles définissent l’intérêt général et elles sont prêtes à faire l’examen critique du rôle de l’État. Elles sont également en mesure d’anticiper les problèmes qui se poseront à partir des données disponibles et des tendances observées, ainsi que d’élaborer des politiques qui tiennent compte de l’évolution des coûts et des changements prévisibles.

La primauté du droit

Les autorités publiques font appliquer les lois, la réglementation et les codes en toute égalité et en toute transparence.

Une désignation des sites au forceps

Le premier Ministre en charge de ce dossier, Guy Lutgen, ne se préoccupe pas de la transposition de cette directive, ce qui engendre un retard conséquent que ne pourra rattraper le gouvernement suivant. C’est donc le Ministre José Happart qui l’ouvre, en 2000, avec des risques d’astreintes européennes associées. A ce moment, seuls les scientifiques et juristes sont réellement conscients des enjeux et travaillent activement sur ce dossier.

Les premières propositions de sites sont bridées par le Gouvernement. Avec la pression de la Commission, l’expertise acquise des scientifiques et les recours des associations auprès de la Commission, la superficie du réseau passe cependant de 50.000 ha à 220.000 ha pour être avalisée en 2005 par la Commission. Dans ce délai, quelques réunions d’information permettent aux propriétaires et gestionnaires les plus alertes de percevoir l’enjeu Natura 2000 mais encore rien de concret au-delà du slogan : « nature : humains admis ». Propriétaires et gestionnaires ne découvrent réellement Natura 2000 qu’après la désignation des périmètres des sites avec l’organisation des premières concertations par le Ministre.

L’absence d’information donnée aux propriétaires et gestionnaires (transparence et participation), avant et pendant la désignation des périmètres des sites sera longtemps reprochée à l’administration. Une administration qui n’a pas anticipé la transposition de cette directive dont les échéances étaient connues, à moins que ce ne soit une question de cadre. Il s’agit là encore d’un principe de bonne gouvernance (prospective).

De l’α-gouvernance …

En l’absence de véritable porteur de ce dossier au sein de l’administration, les scientifiques attachés à la désignation des périmètres ont imaginé « leur régime » Natura 2000, soit un ensemble de normes à respecter pour assurer la transposition de la directive. Né d’un cénacle restreint, sans concertation préalable en interne de l’administration ni avec les parties prenantes, ce cadre est proposé en 2004 aux différentes parties prenantes. Basé principalement sur une approche contraignante, ce régime n’était acceptable pour personne. Les contraintes provoquèrent le rejet des propriétaires et des gestionnaires et son inapplicabilité, celui des environnementalistes.

Conçu loin des principes de bonne gouvernance (participation et concertation), le régime proposé était aussi inapplicable et incontrôlable par une administration qui peine déjà à faire respecter des décrets tel celui relatif à l’interdiction de chasse au sein des territoires clôturés. Et cela, sans compter sur les réalités de cette administration au sein de laquelle certains agents de terrain sont aussi gardes privés à leurs heures perdues, … C’est l’efficience des propositions qui est ici en cause.

…à la bonne gouvernance imposée

Après l’échec des premières concertations et le changement de gouvernement, le nouveau Ministre, Benoît Lutgen, privilégie un régime qui aurait l’accord des différentes parties prenantes. Le Forum Natura 2000 regroupant la Fédération IEW, la FWA, NTF et l’UVCW est ainsi initié par le Politique. S’il s’agit d’un premier pas vers la bonne gouvernance, ce Forum est en quelque sorte « imposé » à son administration. Une partie de celle-ci le perçoit inévitablement comme un rival et non comme une opportunité. Elle se sentira souvent exclue du processus alors qu’elle aurait pu y jouer un rôle important.

Le Forum prend le relais

En 2006, le Forum Natura 2000 propose une révision du régime sur base des principes suivants : développement d’un régime de protection proportionnel aux actes visés, indemnisation des contraintes, aides incitatives à la gestion et la restauration des milieux, mise en ½uvre plus ambitieuse en forêt publique et instauration d’une structure d’encadrement des gestionnaires portées par les partenaires du Forum.

Globalement, les propositions du Forum tendent à rendre le régime efficace (mesures proportionnées), acceptable et participatif (en veillant à l’adhésion et l’implication des gestionnaires). En cela, il applique des règles de bonne gouvernance. Mais le Forum a ses limites et certains points de dissensions sont donc portés à l’arbitrage du Ministre.

Des arbitrages politiques, des frustrations de l’Administration

Les propositions du Forum sont suivies par le Ministre à l’exception de 2 points : l’instauration d’un régime de protection plus important en forêt publique et la mise en place d’une structure d’encadrement portée par les partenaires du Forum. Il s’agit, une nouvelle fois, d’un enjeux de gouvernance. La proportionnalité des décisions implique que l’autorité publique soit exemplative, ce que les propriétaires publics (politique donc) n’ont pas accepté. L’administration a refusé de concéder ce qu’elle percevait comme sa « chasse gardée » : les contacts avec les acteurs de terrain. Or, ce que proposaient les différentes parties prenantes n’était rien d’autre que la création d’une structure, légitime aux yeux des propriétaires et gestionnaires, capable de traduire dans un langage accessible et compréhensible le régime Natura 2000. Une structure dont le suivi et le contrôle revient quant à lui légitimement à l’administration.

Un revirement salutaire qui initie Natura 2000

Après la médiatisation de ces différents, le dossier s’enlise. La relance du processus n’intervient qu’en novembre 2007 avec un agenda et un « pilote » dont le mandat et la légitimité sont clairs. Un accord est obtenu pour une structure d’encadrement multi-acteurs : Naturawal est ainsi née. Le renforcement en forêt publique des mesures relatives à la biodiversité passe, in fine, via la révision du code forestier. Reste à mettre le régime en musique avec une révision décrétale et les arrêtés d’application. Le dossier abouti fin 2008 avec le lancement d’une phase de test, via l’adoption de 8 premiers arrêtés de désignation.

Phase test : analyses et propositions

Il ressort rapidement suite aux enquêtes publiques, aux contacts avec les propriétaires et gestionnaires ainsi qu’avec les administrations décentralisées que le régime Natura 2000 n’est toujours pas « appropriable ». La simple exposition des grands principes est à ce point complexe qu’elle empêche toute personne normalement constituée d’aller plus loin… Pensé entre experts, en ce compris le Forum, ce régime était à proprement parlé ingérable, malgré, faut-il le rappeler, une simplification préalable.

Dans le souci de rendre le Régime Natura 2000 gérable par l’administration et accessible au citoyen, le Forum formalise différents constats et propose nombre d’améliorations en termes de simplification et d’accélération, et ce, fin 2009. Le nombre des unités de gestion est divisé par 2, la cartographie est fortement simplifiée. Le régime d’aide est également simplifié et harmonisé avec des mesures existantes. De même, pour répondre au problème des exploitations agricoles fortement impactées, le Forum propose une procédure de médiation socio-économique préalablement à l’enquête publique. En concertation avec l’administration, une accélération de la cartographie est également proposée. En mars 2010, le Ministre approuve ces grands principes.

Le Forum a donc pris l’initiative de revoir l’ensemble du régime pour le rendre appropriable par les gestionnaires et … l’administration. Ce travail a notamment consisté à renforcer la cohérence du régime avec les outils existants tel que la fusion des mesures Natura 2000 avec le cahier des charges des mesures agro-environnementales.

La contrôlabilité, une nouvelle embûche plutôt salutaire

L’ensemble du dossier fait alors l’objet d’une concertation approfondie avec l’administration mais la nécessité d’intégrer des critères de contrôlabilité amène le Forum et l’administration à revoir l’ensemble du régime en profondeur et à le simplifier un peu plus encore. La Direction de la police et des contrôles se retrouve enfin à la table de travail… alors qu’elle aurait du être partie prenante dès le début du processus. Un ensemble de mesures non « contrôlables » ou trop lourdes en termes de contrôle sont reformulées ou retirées. Nous sommes une fois de plus au c½ur de questions de gouvernance qui sont amenées par les règlements européens : est-il efficace de contrôler une activité dont l’incidence est très localisée, rare et réversible et si le coût du contrôle est important ? Il vaut clairement mieux utiliser son énergie à contrôler l’essentiel. Le nombre de mesures au terme de ce processus est encore réduit d’un tiers et le régime Natura 2000 y gagne incontestablement.

Dernière ligne droite…

Entre novembre 2010 et avril 2011, l’ensemble des textes sont adoptés au parlement et au gouvernent. Suite à la révision du régime Natura 2000, l’ensemble du réseau bénéficie alors d’un régime de « protection primaire », indépendant de la cartographie des sites. L’enquête publique sur la cartographie précise des 240 sites Natura 2000 doit encore être réalisée pour qu’entrent en vigueur les mesures spécifiques aux différentes unités de gestion.

La communication auprès du grand public est concertée avec l’administration afin de s’assurer que les propriétaires et gestionnaires puissent participer pleinement à l’enquête publique. Il s’agit encore d’un enjeu primordial en termes de gouvernance. Le Forum s’assure de l’envoi d’un courrier personnalisé aux propriétaires et gestionnaires des sites. Ce courrier les informe des parcelles qu’ils ont en Natura 2000 et de la tenue de réunions d’information par Naturawal. Un accès interactif à la cartographie est également mis à disposition des citoyens lors de ces réunions : l’enjeu est de donner la meilleure information pour leur permettre de réagir pendant l’enquête publique. Près de 3.000 personnes ont participé aux 50 réunions d’information préalables à l’enquête publique. Un vrai succès en termes de participation et de transparence !

Avant le report des enquêtes publiques

Rapidement, certains propriétaires s’étonnent de voir de nouvelles parcelles intégrées au réseau tandis que d’autres ne s’y trouvent plus. Il apparaît que la cartographie a été modifiée sans concertation. Le Forum en informe le Ministre et l’Administration qui tarde à fournir des explications. Après quelques temps, des chiffres objectivent l’étendue des ajouts. Vu l’incidence juridique et l’ampleur de cette problématique, le Ministre décide alors de reporter l’enquête publique, se justifiant par la nécessité d’informer au préalable la Commission. Manifestement, les ajouts avaient des origines très diverses : initiatives personnelles, notes vertes, propositions du DNF, chacun y est allé de son ajout, sans méthodologie précise et sans en anticiper les conséquences.
Absence de transparence, d’analyse interne des données cartographiques, manque d’anticipation, pas de véritable porteur de ce dossier au niveau politique et administratif, … Les constats sont amers et creusent un nouvel abyme en terme de bonne gouvernance.

Une cartographie inaboutie et des équilibres malmenés

Après le report des enquêtes publiques, le Forum constate également que ses propositions visant à simplifier la cartographie n’ont pas été prises en compte (tailles minimales des unités de gestion, regroupements automatiques, …). Un ensemble d’éléments devant faciliter tant la lecture que la mise en ½uvre des mesures de gestion liées à la cartographie. Une analyse plus fine de cette cartographie révèle une autre surprise : la méthodologie appliquée à la désignation d’une unité de gestion importante a été modifiée en cours de processus, sans concertation avec le Forum, ni même en interne de l’administration… Cette modification est lourde d’implications tant pour les gestionnaires qu’en termes de biodiversité. Les corrections, s’il est possible d’en trouver, ne seront que palliatives et en deçà de l’approche originelle sur laquelle le Forum avait pu s’accorder. Cette modification remet en effet en cause des équilibres acquis au sein du Forum Natura 2000… Un Forum qui atteint ses limites car les solutions proposées frustrent toutes les composantes.

Une fois encore, la question de la gouvernance est centrale : participation et transparence au sein de l’administration et avec les parties prenantes. Cohérence du régime Natura 2000 avec une cartographie … mouvantes et absences d’anticipation. Dans ce contexte, le Forum pallie une fois encore aux dysfonctionnements dans les limites du possible, au service de l’administration et du politique, qui devront demain assumer la qualité de la cartographie, une fois l’enquête publique lancée et en supporter les conséquences (régime de soutien, contrôle, application en forêt publique, …).

Une issue pourtant nécessaire au dossier Natura 2000

Ce dossier ne peut pourtant souffrir d’un nouveau retard. Ce serait porter un préjudice important au projet et à sa crédibilité. Des milliers de propriétaires et gestionnaires s’y sont déjà investis via les informations préalables à l’enquête publique et les mesures de gestion des sites déjà en vigueur. Tout retard supplémentaire dans la désignation des sites accentue aussi la dégradation des habitats, principalement agricoles, qui ne sont pas suffisamment protégés par le régime de protection primaire actuellement existant. Il y a donc obligation de résultats à brèves échéances.

Et aux questions de gouvernance

Natura 2000 n’est pas le seul dossier qui souffre de « mal gouvernance ». Notre analyse relève des problèmes structurels tel une implémentation insuffisante des principes de bonne gouvernance et même une difficulté à les accepter. Le Plan opérationnel de l’administration adopté par le gouvernement wallon en mars 2009 est un premier pas puisqu’il incite à une plus grande concertation avec les parties prenantes, bien que celle-ci se fasse encore attendre. Un second pas est franchi depuis peu avec le « Manuel de Management » qui apporte un cadre plus explicite à la « bonne gouvernance ». Reste à savoir si ces outils permettront de créer la transversalité nécessaire au bon fonctionnement d’une administration qui doit gérer des systèmes complexes, tel Natura 2000. Et s’ils pourront suppléer à une « culture » qui est parfois très verticale et territoriale et aux sous-effectifs structurels, dans certains départements clés.

Extrait de nIEWs n°97,

la Lettre d’information de la Fédération.

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Lionel Delvaux

Anciennement: Nature & Ruralité