Salon de l’auto: l’impasse de la croissance

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Les organisateurs du Salon de l’auto qui se déroule du 12 au 21 janvier nous l’assurent : celui-ci constitue « un immense événement populaire où tous, petits comme grands, trouveront à coup sûr de quoi combler leur bonheur ». Le bonheur résiderait donc dans la possession d’un véhicule motorisé. Voilà qui apporte enfin une réponse claire à l’une des plus anciennes questions de la philosophie. Et qui justifierait les déclarations enthousiastes qui ne manqueront pas de fleurir dans les médias si, à l’issue du Salon, le nombre de visiteurs et les ventes de véhicules neufs sont conformes ou supérieurs aux attentes des organisateurs et des exposants.

Mais faut-il vraiment se réjouir du fait que nos concitoyens, obéissant aux subtiles injonctions implicites des publicitaires du secteur, s’endettent pour acheter des voitures neuves ? Dès lors que le nombre de véhicules qui rentrent dans le parc automobile dépasse celui des véhicules qui en sortent (mise à la casse ou exportation), la taille du parc augmente. C’est exactement la tendance que l’on observe depuis des décennies. Ainsi, le parc automobile belge comptait 4,6 millions d’unités en 2000 et 5,7 en 2016, soit une croissance annuelle d’un peu plus de 65.000 voitures. Une voiture neuve vendue en Belgique mesurant en moyenne 4,368 mètres de long, la croissance annuelle du parc représente une file continue de 284 km de voitures parechoc contre parechoc (soit environ la distance entre Bastogne et Ostende). Ces 284 km de voitures viennent accroître non seulement les problèmes de stationnement et de congestion que sont priés de résoudre les pouvoirs publics, mais également (entre autres) l’insécurité routière, les émissions de polluants affectant la santé humaine ou encore les émissions de gaz à effet de serre.

Ces effets négatifs sont, à juste titre, dénoncés tout au long de l’année par de nombreuses parties (de la société civile au monde politique) alors qu’un élément déterminant dans leur aggravation (l’accroissement du parc) est célébré à l’occasion de la « grand-messe de l’automobile » qui se déroule actuellement (cette expression figure textuellement dans le catalogue officiel du Salon). Cette situation schizophrénique est parfaitement illustrative de l’impasse dans laquelle la poursuite effrénée de la croissance économique a emmené nos sociétés. Appliquée au secteur automobile, l’obligation de croissance se traduit par (1) une évolution du parc vers des véhicules sur lesquels les marges bénéficiaires sont plus importantes : plus lourds, plus puissants, de type SUV (qui sont également plus dangereux et plus polluants que des voitures modestes[[Voir à ce sujet l’argumentaire développé dans le dossier LISA Car : http://lisacar.eu/dossier/]]) et (2) une augmentation du parc automobile qui enferme notre société dans un système de mobilité non durable et oblige les pouvoirs publics à consacrer d’importants budgets à ce mode de transport (entretien et extension du réseau routier, gestion de la congestion et du stationnement) au détriment des modes plus durables (transports en commun, vélo, marche, etc.).

La croissance du parc automobile relève de « la logique de l’accumulation incessante et de la croissance de n’importe quoi pourvu que cela rapporte des profits » dénoncée par l’économiste Jean Gadrey dans son essai « Adieu à la croissance ». Cette logique requiert « l’organisation institutionnalisée de l’avidité permanente » auquel participe sciemment le Salon de l’auto : susciter chez les citoyens l’envie d’une voiture neuve afin que ceux-ci consomment sans s’interroger sur leurs réels besoins ni sur les causes profondes et les conséquences de leur achat. Refuser de remettre en cause cette logique, éviter le débat public sur ces questions au prétexte que « la croissance est nécessaire », c’est se condamner à n’agir qu’à la marge quand une transformation en profondeur de nos sociétés (et particulièrement de nos systèmes de transport) est indispensable. A titre illustratif, rappelons que, pour répondre à l’enjeu climatique, une division par dix de nos émissions de gaz à effet de serre doit être accomplie sur les 30 prochaines années. En 1965, à propos de la ségrégation raciale aux Etats-Unis, Martin Luther King déclarait : « Il est à la fois moralement et socialement suicidaire de s’habituer à déplorer les effets sans être capable de s’attaquer aux causes. » C’est malheureusement une telle attitude suicidaire dont font preuve nos sociétés en matière de transports, incapables qu’elles sont de s’attaquer aux causes de la croissance du parc automobile.

Cet article est paru dans les colonnes « Opinions » de La Libre Belgique durant le salon de l’automobile 2018.

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